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Quand la qualité de la relève médicale, compromise, représente un danger pour les patients

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Avec son accord et nous l’en remercions, nous reprenons ici un article paru dans Le Courrier du médecin vaudois, qui a consacré son dernier numéro (décembre 2016 – janvier 2017) à la reconnaissance des titres et a demandé au Dr Didier Châtelain d’exposer la situation dans le canton de Genève.

A Genève, le droit de pratique est accordé par la Direction générale de la santé (rattachée au Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé) à tout médecin qui a obtenu un titre fédéral délivré par l’Institut suisse pour la formation médicale post-graduée et continue (ISFM, organe autonome de la FMH) ou une reconnaissance de son titre étranger par la Commission fédérale des professions médicales (MEBEKO, rattachée au Département fédéral de l’intérieur).

Rien d’autre n’est vérifié quant à la qualité de la formation postgraduée. Ont pu ainsi s’installer des médecins, porteurs d’un titre étranger de médecine générale, dont la formation n’équivaut de loin pas à celle exigée pour l’obtention du même titre en Suisse. Par exemple, la plupart n’ont effectué aucune période d’internat en hôpital universitaire. Il en est de même avec des chirurgiens dont le catalogue d’opérations obligatoires en Suisse était très insuffisamment réalisé, ou d’autres acteurs qui n’ont pas opéré depuis plus de 10 ans.

On pourrait nous rétorquer que certains de ces généralistes n’ont alors reçu de la MEBEKO que le titre de médecin praticien (MP). Mais c’est là que le bât blesse et que ce titre même est gravement préoccupant, car il implique la pratique de la médecine générale et le droit de pratique cantonal l’y oblige même exclusivement !

Mais de quel type de médecine générale parle-t-on ?
De celle apprise en Suisse en seulement trois ans, dont uniquement une obligatoire en «établissements de formation reconnus», et sanctionnée par un examen fédéral, mais dont la réussite est accordée par l’ISFM pour une note inférieure à celle exigée d’un candidat se présentant pour le titre fédéral de médecine interne générale (ex-médecine générale FMH ou médecine interne FMH), et ce, après cinq ans minimum obligatoires passés dans des Centres de formation reconnus et dûment contrôlés ?

Ou, pis, de celle pratiquée par des médecins sans réelle formation structurée dans ce domaine, voire n’ayant jamais pratiqué de médecine générale (par exemple, psychiatrie, ORL, traitements esthétiques de varices, etc.) et auxquels la MEBEKO attribue tout de même, sur l’autel des Accords bilatéraux, ce titre inventé en 2002 et rapidement devenu un «fourre-tout» insensé ?

Le tout est aggravé par l’absence d’obligation officielle faite aux porteurs de ce titre fédéral de suivre une formation continue, pourtant exigée de tous les porteurs du titre de spécialiste en médecine (interne) générale, à hauteur d’un minimum de 80 heures/année !

Qui pâtira de cette situation ? Les patients, doublement
D’abord, en ne bénéficiant indéniablement pas de soins de la meilleure qualité, et ce, sans en avoir été clairement informés – et même les cartes de visite ou les plaques sur les immeubles sont parfois trompeuses. Ensuite, parce que les coûts engendrés par un médecin insuffisamment formé sont presque toujours supérieurs: en cas de mauvaise formation clinique et d’insécurité, la tentation est grande de remplacer ses insuffisances par des examens ou des consultations superflus, qui engendrent une augmentation des coûts, suivie d’une augmentation des primes ! C’est grave.

Et quelle double injustice à l’égard de nos collègues soumis aux exigences académiques susmentionnées et dont les honoraires sont identiques à ceux prévus pour les porteurs de ce titre de médecin praticien. Cela n’est pas pour favoriser la relève locale !

Même si, heureusement, certains porteurs de ce titre fédéral de «MP», suisses ou étrangers, sont au bénéfice d’une formation plus solide que celle décrite ci-dessus, nous devons déplorer plusieurs dizaines de droits de pratique délivrés à Genève à des «MP», malgré leurs formations postgraduées très lacunaires dans ce domaine de la médecine et effectuées en général en dehors de toute structure reconnue de formation.

Voici quelques exemples qui nous ont particulièrement choqués :

• Diplôme à Bologne. Six mois de gériatrie en clinique privée remplacements épars en cabinets. Aucune pratique médicale pendant dix-huit ans (1995 à 2013)! A reçu ici en 2004 son droit de pratique «uniquement en qualité de MP» !

• Diplôme à Constantine, «reconnu» en Belgique de par la nationalité belge de son épouse! Donc «reconnu» ensuite par la Suisse! Chirurgie en Algérie puis en Suisse pendant quatre ans. Six mois en cabinet de cardiologie à Vevey. Droit de pratique à Genève comme «MP uniquement» !

• Diplôme de médecin à La Paz. Huit ans de chirurgie orthopédique en Bolivie et au Mexique quatre ans de chirurgie de la main et six mois de médecine interne comme étudiant stagiaire aux HUG. Dit «pratiquer la médecine générale»! Installé dans une permanence.

• Diplôme à Genève. Six mois de chirurgie digestive, sept ans d’ORL, un an de neuro-chirurgie. Droit de pratique comme «MP uniquement» !

• Diplôme à Lima, «reconnu» par l’Espagne, donc ensuite par la Suisse. Quatre ans d’anesthésie. En Suisse : quelques mois de radio-oncologie et d’urologie deux mois de gériatrie et trois mois de médecine interne. Six ans de psychiatrie aux HUG, avec échec à l’examen de spécialiste. Droit de pratique comme «MP uniquement» !

• Diplôme à Lausanne. Quatre mois de soins de douleurs un mois en policlinique médico-chirurgicale en périphérie trois ans de gynécologie en périphérie. Sage-femme cinq ans. Droit de pratique comme «MP uniquement» !

• Diplôme en France. Aucune formation postgraduée. Deux ans de remplacements en cabinets médecin d’ambassade et d’industries pharmas en Asie et en Russie pendant dix-huit ans trois ans de remplacements en cabinet. Droit de pratique comme «MP uniquement» !

• Diplôme à Bucarest. «Autorisation d’habileté pratique en médecine générale», puis mésothérapie et lasers à Paris, dont plusieurs années sans aucune pratique médicale. Titre fédéral de «MP», suivi du Droit de pratique comme «MP uniquement» !

• Diplôme en France. Six mois de cardiologie, un an d’onco-pédiatrie, six mois d’urgences, dix-huit mois de psychiatrie. Radiologue pendant dix ans, puis installée à Lausanne comme tel. Titre fédéral de médecin praticien et «pratique la médecine générale depuis» !

• Diplôme en France. Gériatrie en périphérie, puis «protéonique, biorésonnance et prévention du vieillissement ». Reçu le droit de pratique de «MP uniquement» !

• Diplôme en France. Formation postgraduée uniquement en sexologie. Titre fédéral de «MP» et droit de pratique reçu ici comme «MP uniquement» !

• Diplôme brésilien, «reconnu» par le Portugal, puis donc par la Suisse! Anesthésie (France et Suisse) et soins palliatifs (Italie). Obtention du titre fédéral de «MP» !

• Rhumatologue algérien, dont la France a «reconnu» son diplôme de médecin, suivie par la Suisse! Droit de pratique comme «MP uniquement».

• Et que dire encore de ce diplômé en France, «ayant travaillé en Belgique», puis reçu son titre fédéral de «MP», qui a refusé de produire son CV lors de sa candidature à l’AMG ?

Il est à préciser que ces cas et ceux qui constituent encore une longue liste ne remplissent aucunement les critères statutaires pour être admis au Groupe cantonal de spécialistes en Médecine de famille. Ainsi, dans l’Annuaire genevois de professions de la santé et sur le site de l’AMG, leurs noms ne sont pas suivis de l’astérisque attestant de la haute qualité de leur formation postgraduée et continue.

Enfin, dossiers documentés à l’appui, nous avons interpellé par écrit dès 2012 la MEBEKO, l’ISFM et notre département cantonal: chacun arguant de son impossibilité à pouvoir prendre d’autres décisions, cela n’a lamentablement rien changé! Passivité ou incurie ?

Nous avons aussi parlé à des journalistes de la presse écrite et une équipe de la RTS est venue dans mon cabinet en 2013 : aucune suite.
Dr Didier Châtelain
Spécialiste en médecine interne générale
Président de MFGe